SEMAINE LE 7e ART ET BRAHMS : Entrevue avec Mathias Arroyo-Bégin


Les quatre concerts de la semaine « Le 7e art et Brahms » donnent à l’OSM l’occasion de présenter quatre créations : trois œuvres pour orchestre commandées à trois compositeurs – Blair Thompson, Zosha Di Castri et Régis Campo – et un film réalisé par le jeune cinéaste Mathias Arroyo-Bégin. Le musicologue Gabriel Paquin-Buki a réalisé une entrevue pour nous avec chacun de ces créateurs.

CONCERT DU 8 FÉVRIER

 

Entrevue de Gabriel Paquin-Buki avec le réalisateur Mathias Arroyo-Bégin, réalisée à Montréal le 8 janvier 2019.

Le film Vogue la rivière a été choisi parmi plusieurs films de finissants à l’Université Concordia. Le mandat donné au réalisateur par l’OSM était de reprendre le même matériel utilisé pour son court-métrage et d’en faire une nouvelle version basée sur l’œuvre musicale choisie.

Le choix vous a été donné entre plusieurs œuvres musicales pour servir de point de départ à votre court-métrage et vous avez choisi la pièce Iris, composée par Jordan Pal en 2017. Pourquoi?

Il m’a été difficile de déterminer quelle pièce choisir parce que plusieurs m’interpellaient. C’est toutefois Iris qui me permettait vraiment de montrer la force de l’eau en même temps que sa fragilité. C’est aussi avec cette pièce que j’avais le plus de facilité à mettre en scène la présence humaine. Après une longue réflexion, mon choix s’est arrêté sur l’œuvre de Jordan Pal.

L’OSM désirait réunir deux arts qui se rencontrent certes fréquemment, mais rarement d’une façon qui consiste à créer un court-métrage basé sur une musique existante. Comment s’est déroulé pour vous le processus de réalisation?

C’est assez complexe de décrire un tel processus de création… À vrai dire, après avoir choisi Iris, j’ai laissé un moment s’écouler afin de m’éloigner de mon interprétation première pour repenser mon film. Lorsque les idées ont germé, j’ai tout écouté et visionné une seule fois avant de laisser mijoter le tout à nouveau. C’est ainsi que j’ai réussi à m’approprier la pièce et mes images. Vogue la rivière, c’était un film pour lequel j’avais une grande quantité d’images; j’ai fait au départ un film de huit minutes et demi, mais j’avais plus de dix heures d’images. Plusieurs d’entre elles n’avaient pas pu être utilisées dans ma version originale, qui était plus concise. Mais en faisant cette adaptation à la musique, j’ai pu aller chercher plusieurs images que je n’étais pas arrivé à insérer au départ.

Pour moi, Vogue la rivière c’est un moyen de montrer la relation entre l’être humain et son environnement. J’ai l’impression qu’à Montréal, les gens ne sont pas tous conscients qu’ils vivent sur une île. Bien sûr, ils le savent… oui on traverse un pont pour y entrer et en sortir, mais il s’agit bien souvent du seul contact que nous avons avec le fleuve. Je trouve ça dommage parce qu’ayant grandi à Verdun, j’ai côtoyé de proche le fleuve Saint-Laurent. J’y ai rencontré des amis, j’y ai pleuré, je m’y suis baigné, j’y ai surfé, j’y ai fait du kayak. Bref, j’ai grandi à travers le fleuve. Il me semble qu’avec tout ce qu’il m’a donné, faire un film qui montre la relation entre l’être humain et le fleuve est un moyen de remercier le Saint-Laurent.

 

Y a-t-il une histoire derrière le titre Vogue la rivière?

Quand j’étais petit, ma mère m’a montré le film Vogue à la mer (1966), réalisé par Bill Mason et produit par l’ONF, où mes grands-parents travaillaient. C’est un film qui m’a marqué parce qu’on y voyait des gens de différentes cultures, des paysages variés et je trouvais ça incroyable que ce soit le Saint-Laurent qui relie tout ce monde-là. Ça m’a frappé à un moment et je me suis dit : « Vogue la rivière ».

 

Quelle avenue préconiserez-vous pour le synchronisme entre l’orchestre et le film?

En travaillant sur l’adaptation du film, j’avais toujours en tête des time codes, des moments-clés, où l’image et le son devaient être synchronisés. Si, à ces moments-là, l’image n’arrive pas en même temps que la musique, le message que j’essaie de transmettre ne passera pas. Les outils donnés à M. Nagano seront donc ces time codes. Évidemment, je ne veux pas rendre la chose carrée et faire comme si c’était une vidéo que l’on regarde sur Internet ou un film au cinéma. Si je mets trop de barèmes, il n’y aura plus de liberté. C’est une performance avant tout et pour le faire ressortir, il faut que je donne le moins de restrictions possible. Il y a une dizaine de moments clés dans le film et il peut se passer trois minutes sans qu’il n’y en ait, comme cette scène où l’on reste sous l’eau pendant plusieurs minutes. On passe d’une noyade à un moment de résilience et c’est vraiment libre à interprétation. Par exemple, je n’ai pas besoin que telle bulle d’air arrive au même moment que tel coup de violon. De laisser cet espace-là à l’Orchestre, ça va être assez fantastique et j’ai hâte de le vivre.

 

En terminant, qu’aimeriez-vous ajouter?

Au début, quand on m’a dit que le film allait être projeté dans un même concert qu’une œuvre de Brahms, j’étais content, mais je n’étais pas certain du poids porté par mon film versus celui de la musique de Brahms. Puis, ma grand-mère m’a appelé pour me lire un passage sur Brahms dans un livre de William Henry Hadow. Il dit ceci, à propos du compositeur : « In him converge all previous streams of tendency not as into a pool, stagnant, passive, motionless, but as into a noble river that receives its tributary waters and bears them onward in larger and statelier volumes. » Écouter