
Le Fantôme de l’Opéra
L'époque du cinéma muet
Combien d’appareils numériques comptez-vous dans la pièce où vous vous trouvez ? Combien peuvent servir à fabriquer une vidéo ou du son ? Probablement un bon nombre d’entre eux ! À l’ère d’internet, la vidéo et le son occupent une place cruciale dans la manière dont les gens ont accès à l’information.
Depuis l’expérience individuelle de création, d’affichage et de visionnement sur YouTube jusqu’à l’expérience collective d’immersion que procure un film Imax, le film présente un large éventail de possibilités.
L’engouement pour cette forme d’art a commencé à l’époque du cinéma muet (1895 à 1936). Des cinéastes novateurs ont développé des techniques encore en usage aujourd’hui, tels le gros plan, le plan d’ensemble et le panoramique.

Ces techniques établissent les fondements des mouvements cinématographiques à venir : les classiques d’Hollywood, l’impressionnisme français, l’expressionnisme allemand et la théorie du montage soviétique.
Le savais-tu?
Depuis l’époque du muet, la musique a joué un rôle central au cinéma.
Visionnez et écoutez le trompettiste Miles Davis improviser sur les images du film de Louis Male Ascenseur pour l’échafaud (1958).
Un dilemme faustien
Inspiré d’un roman de Gaston Leroux, le Fantôme de l’Opéra est un film muet réalisé par Rupert Julian. L’intrigue se déroule dans le décor de l’Opéra de Paris, au cours d’une représentation de l’opéra Faust de Charles Gounod.
Elle consiste en un triangle amoureux entre le Fantôme Erik, musicien reclus qui hante les sous-sol de l’opéra, de Christine, jeune cantatrice ambitieuse en quête de gloire et de succès, et de Raoul son bien-aimé qui souhaite la voir abandonner la scène pour l’épouser. Amour obsessionnel, ambition, désir, solitude et peur entrent en jeu lorsque Erik met la jeune fille face à un terrible dilemme : l’épouser et vivre avec lui dans les sous-sols de l’Opéra de Paris, en échange de quoi la vie de Raoul serait sauve ; ou bien refuser de l’épouser et risquer leur anéantissement et la destruction de l’Opéra de Paris, causés par l’explosion des barils de poudre entreposés dans le souterrain.
Le savais-tu?
Un lac souterrain se cache sous l’Opéra de Paris. En 1862, l’architecte Charles Garnier fit construire une citerne sous l’édifice pour protéger la fondation d’une moisissure excessive et fournir un réservoir d’eau en cas d’incendie.
Aujourd’hui, les pompiers de Paris utilisent cette citerne pour leur formation en plongée souterraine.
Le film tragique Le Fantôme de l’Opéra a eu une influence déterminante dans la production de films d’horreur, jusqu’à nos jours. On explique surtout cette influence grâce à l’interprétation unique de Lon Chaney dans le rôle du Fantôme. Surnommé l’« homme aux mille visages », l’acteur créait ses propres maquillages (voir Notre-Dame de Paris, 1923). Pour le Fantôme, il se donnait un visage émacié et squelettique en noircissant ses orbites et ses narines. Il relevait son nez vers le haut grâce à des bandes de peau de poisson et des filets, tandis que ses fausses dents étaient cassées et pointues. En 1930, une nouvelle mouture du film, cette fois avec du son, s’avère être un tel succès qu’il inspira les films d’horreur Dracula, Frankenstein, The Mummy, et bien d’autres encore.
Le savais-tu?
Le Faust de Gounod se fonde sur la vie de l’alchimiste et astrologue Johann Georg Faust env. 1480 ou 1466 à env. 1541. L’expression « un dilemme faustien » désigne une décision qui vise à un bénéfice immédiat sans égard pour les conséquences futures.
Des films pas vraiment muets
Par définition, les films muets sont dépourvus de son ou de dialogues enregistrés. La technologie ayant permis la synchronisation du son et de l’image fut développée à la fin des années 1920. À cette époque, le terme « film muet » distinguait les films qui n’avaient pas de trame sonore synchronisée de ceux qui en avaient une. Ces derniers étaient appelés « films parlants » ou « films sonores ».
La principale différence entre les films muets et les films parlants résidait dans la place qu’occupaient les dialogues. Dans les films parlants, les dialogues sont enregistrés et synchronisés avec l’image tandis que dans les muets, ils donnent lieu à des intertitres sous forme de cartons. Les intertitres rendent compte des développements dans l’action (ex. « Plus tard le même jour ») ou présentent de courtes phrases prononcées par les personnages (ex. « Au secours ! »).
Malgré leur nom, les films muets sont tout sauf silencieux ! Depuis toujours et jusqu’à nos jours, les films muets sont projetés en présence de musiciens jouant en direct. La musique accentue l’aspect dramatique de l’action et contribue à l’atmosphère de chaque scène. Les musiciens utilisent des airs populaires, de la musique classique ou encore des effets sonores créés à partir d’objets du quotidien et d’instruments variés, capables d’imiter toute sorte de choses – depuis le vent jusqu’au sifflet d’un train en passant par les coups de feu. La musique peut être improvisée ou composée. Les musiciens improvisateurs en temps réel font preuve d’une habileté exceptionnelle lorsqu’ils parviennent à créer une atmosphère sonore par des fragments musicaux évoquant fidèlement le récit.
L’orgue, instrument sur mesure pour le film muet
L’orgue est l’instrument le plus souvent utilisé dans le film muet. Il s’agit d’un instrument polyvalent dont le répertoire couvre les périodes baroque et classique, la nouvelle musique, le jazz ou encore la musique de film. On trouve des orgues dans des salles de concert, des églises et même des salles de cinéma.
Construit spécialement pour la Maison symphonique, le Grand Orgue Pierre-Béique s’impose avec ses 6489 tuyaux ! Les tuyaux de l’orgue se divisent en groupes appelés « rangs ». Chacun d’eux est doté d’une sonorité distincte et commandé par des jeux (ou tirants de registre) situés sur la console de l’instrument et permettant à l’organiste de sélectionner une variété de sons (cordes, anches, flûtes, etc.). Il produira les sons à partir de ses différents claviers et du pédalier. La diversité de la palette sonore de l’orgue fait de lui un instrument idéal pour accompagner un film.
Au cours des années 1920, les musiciens ont adapté et modifié leurs instruments pour mieux répondre aux exigences des films muets. Cloches de traîneau, woodblocks, batterie, sifflets de train, sirènes, klaxons et autres accessoires ont été installés à l’intérieur de l’instrument afin de générer toute sorte de sons!
Tous ces objets pouvaient être commandé par l’organiste à partir de sa console de jeu. Il pouvait alors réagir à l’action grace à une encore plus large palette timbrale.
Le savais-tu?
Le Fantôme est un organiste ! Dans la réédition de 1930, il joue l’ouverture dramatique de la Toccata et fugue en ré mineur, BWV 565 de J. S. Bach. D’autres interprétations du Fantôme font aussi entendre l’orgue : écoutez attentivement la reprise en version métal nightcore de l’ouverture du Fantôme de l’Opéra (1986) d’Andrew Lloyd Weber.p>

Éclairages…caméra…action !
L’histoire du cinéma est une affaire d’innovation scientifique. Au XIXesiècle, la technique fait des pas de géants avec l’invention de la caméra. Les premiers inventeurs, tel Paul Roget, expérimentent la projection rapide d’images fixes, créant l’illusion d’une image en mouvement.
L’invention de la pellicule photographique ouvre la voie à d’autres innovations, comme le kinétoscope de Thomas Edison (breveté en 1892) permettant à une seule personne de visionner un film. Plus tard, le cinématographe, projecteur inventé par les frères Auguste et Louis Lumière (1895), offre la possibilité de visionner le film à plusieurs.
Les frères Lumière présentent leur première projection publique le 28 décembre 1895 au Grand Café du Boulevard des Capucines, à Paris. L’année suivante, ils partent en tournée avec le cinématopraphe à Bruxelles, Bombay, Londres, Buenos Aires, New York et… Montréal !
À la fin des années 1920, les recherches se concentrent sur la synchronisation du son et de l’image. Cent ans plus tard, le son et image sont en format numériques, se développe le jeu vidéo, l’interactivité ou encore la technologie immersive en 3D. La science et l’art évoluent main dans la main.
Le savais-tu?
La fascination pour l’image et le son ne date pas d’hier. Appareil inventé au XVIIesiècle, la lanterne magique projetait sur un mur des images peintes sur des plaques de verre à l’aide d’une source lumineuse. Avec ce nouvel appareil, diverses méthodes ont été inventées afin de suggérer le mouvement. Les saltimbanques utilisaient la lanterne magique pour projeter des images pendant qu’ils racontaient des histoires.

Pour aller plus loin
– Des artistes superstitieux ont prétendu qu’une malédiction était associée à l’opéra Faust qui a inspiré le film Fantôme de l’Opéra. On doit cette idée à l’écrivain Johann Wolfgang von Goethe qui maudissait tout musician, autre que Mozart, qui oserait mettre en musique son personnage de Faust. Pas de chance : Mozart est mort vingt ans avant que Goethe ne termine son œuvre. On dit que la malédiction aurait causé de nombreux accidents, dont la chute d’un lustre en pleine representation de l’oeuvre à l’Opéra de Paris. Voici quelques compositeurs ayant bravé la malédiction :
Charles Gounod, Faust (1859)
Louis Spohr, Faust (1813)
Lili Boulanger, Faust et Hélène (1913)
Alfred Schnittke, Faust Cantata (1983)
– La popularité des films muets a donné lieu au culte des vedettes de cinéma. Parmi les plus adulées, citons Greta Garbo (La Chair et le Diable, 1926), Charlie Chaplin (Charlot policeman, 1917), Louise Brooks (Loulou, 1929) et Buster Keaton (Le mécano de la « General », 1926)
– Le point de vue est une stratégie utilisée au théâtre et au cinéma pour comprendre les motivations des personnages. Imaginez que vous êtes Christine, comment raconteriez-vous cette histoire ? Feriez-vous des choix différents ? Comment ? À quel moment ? Pourquoi ? Comment l’histoire change-t-elle quand elle est envisagée du point de vue de Raoul ou d’Erik ? Quelle forme prend-elle lorsqu’elle est racontée par la mère de Christine, la prima donna Carlotta ou l’agent secret Ledoux ?

